samedi 25 juillet 2015

Dans la ville d’or et d’argent ( extrait 2 du chapitre 28 )




   Ce soir, Hazrat Mahal est rentrée au palais épuisée et soucieuse. Entre les pertes au combat et les défections, les forces combattantes se sont réduites d’un bon tiers. Il ne reste que quelques soixante mille hommes et, parmi ceux-ci, trente mille cipayes seulement.
   Tandis que son amie Mumtaz s’efforce de la distraire, un officier demande à être reçu. Introduit par un eunuque, il se tient immobile sur le seuil du salon ; son air sombre laisse pressentir une mauvaise nouvelle.
   « Allons, parle ! Que se passe-t-il ? Questionne la Rajmata.
-          En tentant de repousser l’assaut ennemi à Nawabjang… le rajah Jai Lal… »
   Hazrat Mahal tressaille, le sang s’est retiré de son visage, la voix lui manque. C’est Mumtaz qui presse l’homme de parler :
   « Qu’est-il arrivé au rajah ?
-          Un boulet de canon l’a emporté », balbutie l’homme en baissant la tête
… Boulet de canon… emporté…
   Hazrat Mahal ne comprend pas…
   Et soudain, comme si elle assistait à un spectacle, elle entend un grand cri :
   « Il est mort ? »
   Devant les yeux qui la fixent, elle comprend que c’est elle qui vient de crier et que l’homme la regarde stupéfié.
   Mumtaz a juste le temps de le faire sortir avant qu’elle ne s’écroule dans ses bras. Jai Lal est mort ? Une douleur lui empoigne le cœur et l’empêche de respirer. Affolée, Mumtaz la fait étendre, lui bassine le front d’eau fraîche, lui caresse les mains et le visage, tout en essayant de la réconforter. En Vain. Les sanglots la suffoquent, elle se débat, tente de se relever, puis retombe sur le divan, exsangue.
   « Tu l’aimais donc tant ? Murmure Mumtaz Bouleversée.
   Pourquoi ne lui a-t-elle jamais fait comprendre ? Toujours cette maudite fierté… Et maintenant il est trop tard.
   Toute la soirée Mumtaz va rester auprès d’elle, lui chantant, pour la calmer, d’anciennes mélopées du temps de leur enfance. Hazrat Mahal a fermé les yeux, peu à peu sa respiration s’est faite plus régulière, elle s’est endormie.
   Le lendemain au réveil, lorsqu’elle comprend que ce n’était pas un cauchemar, ses larmes recommencent à couler de plus belle. Malgré ses efforts, elle n’arrive pas à les retenir. Aussi prie-t-elle Mumtaz d’annuler toutes les audiences et d’interdire sa porte.
   Vers midi, un fort vacarme se fait entendre dans le hall. Couvrant les cris aigus des eunuques et des femmes, une voix tonne : « Laissez-moi passer, misérables ! Si la Rajmata est malade, raison de plus pour que je la voie ! »
   Et la portière de brocart s’est ouverte sur une haute silhouette.
   Les yeux écarquillés Hazrat Mahal le regarde comme si elle voyait un fantôme.
   «  Vous n’êtes pas mort ? Parvient-elle à articuler.
-          Mort ? »
   Le rajah Jai Lal s’est figé, interloqué, puis comprenant la méprise :
   «  Mais non, c’est le malheureux officier, à mon côté, qui a été tué. Moi, comme vous pouvez le constater, je suis bien vivant ! »
   L’émotion est trop forte, les digues édifiés depuis des mois se rompent, en sanglotant, elle se jette dans ses bras, balbutiant des paroles incompréhensibles.
   Il enlace son corps tremblant et la berce doucement, comme une enfant qu’on rassure. D’une main légère, il caresse sa longue chevelure et, en se penchant, pose un baiser sur son front brûlant.
   Discrètement, Mumtaz s’est éclipsée

  Kenizé Mourad, Dans la ville d’or et d’argent ( p 373, 374, 375)



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