lundi 20 juillet 2015

Dans la ville d’or et d’argent ( extrait 2 du chapitre 20 )




   Le lendemain matin, Hazrat Mahal envoie quérir le rajah. Elle a passé la nuit réfléchir aux causes de la défaite et à se demander comment y remédier. Elle veut en discuter avec lui.
   Le messager est revenu bredouille : le rajah n’est pas chez lui.
   Devant l’étonnement de sa maîtresse, Mammoo qui, chaque matin, vient  lui apporter les dernières nouvelles, se fait un plaisir de préciser :
   « Il a passé la nuit au Chowq, chez les courtisanes. » Et, devant l’expression stupéfaite d’Hazrat Mahal, il ajoute, perfide :
   « En dépit de la gravité de la situation, il semble ne pas pouvoir s’en passer. »
   C’est l’occasion rêvée de se venger. L’eunuque  vit très mal la place prise par le rajah auprès de sa maîtresse, lui, qui pendant dix ans a été son seul confident, qui l’a soutenue et encouragée dans les pires moments.  […]

   … Comment peut-il ? Moi qui croyais…
   Restée seule, Hazrat Mahal se mord les lèvres de fureur, des larmes de dépit lui montent aux yeux, comment a- t-elle  pu être aussi sotte ? Cet homme qu’elle admirait au point de lui demander son avis toutes les affaires du royaume, cet homme dont elle respectait l’intégrité, n’est donc qu’un vulgaire jouisseur qui, à peine sorti de chez elle, va se vautrer chez les courtisanes ! Ah, il s’est bien moqué d’elle !
Comme il a dû rire de son innocence !
   Elle va lui dire…
   Elle s’est arrêtée net.
   Que peut-elle lui dire ? Elle n’a aucun droit sur lui, aucun droit de commenter sa vie privée, il y a entre eux que des relations de travail…
   … Et pourtant… Ai-je imaginé la lueur dans ses yeux lorsque j’apparais ? Ai-je rêvé la douceur de sa voix lorsqu’il me sent inquiète ? Tout cela ne serait-il que la comédie d’un séducteur, ou pire d’un arriviste ?
  
   A 5 heure, toujours ponctuel, le rajah s’est présenté chez la régente pour leur entretien quotidien. Hazrat Mahal a longuement hésité à le recevoir, si elle s’écoutait, elle romprait sur- la- champ leurs relations. Mais tout le monde se demanderait pourquoi, lui le premier. Et sur la vraie raison elle ne peut que garder le silence. En outre, elle a plus que jamais besoin de ses conseils : il lui faut trouver de l’argent pour aider les familles des soldats tombés au champ de bataille. […]
   L’entrevue sera brève. Avec une raideur inhabituelle, Hazrat Mahal s’enquiert des possibilités de financement, et le rajah suggère de reprendre la levée des impôts sur les domaines des taluqdars, interrompue par la guerre. […]
   Jamais Hazrat Mahal ne s’est montrée aussi distante, jamais elle n’a signifié aussi clairement au rajah qu’elle est la souveraine. Blessé par cette attitude qu’il met sur le compte de la défaite de la veille et qu’il trouve injuste, Jai Lal se retranche derrière un discours purement professionnel, et c’est avec froideur qu’ils se quittent, mécontents l’un de l’autre.
   Mais ils n’auront pas le temps de s’appesantir, des affaires urgentes les réclament.  


              Kenizé Mourad, Dans la ville d’or et d’argent ( p 265,266, 267,268 )

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