samedi 25 juillet 2015

Dans la ville d’or et d’argent ( extrait 1 du chapitre 28 )





   La reprise de Kanpour sera de courte durée. Dès la mi-décembre, la ville est à nouveau occupée par les anglais. […]
   Cependant, à Lucknow, la régente et son état major s’inquiètent :
   En ce mois de janvier 1858, on s’attend à une nouvelle attaque, plus sévère encore que les précédentes, car on sait que le général Campbell a reçu de puissants renforts d’Angleterre et qu’ils sont en route vers Awadh.
   Hazrat Mahal a entrepris de fortifier Lucknow. Quinze mille hommes s’activent à construire un mur autour de la ville, excepté au nord, où la rivière Gomti constitue une protection naturelle. Dans chaque rue et chaque allée on dresse des barricades, les principaux bâtiments sont renforcés et chaque maison est pourvue de meurtrières.
   Autour de Kaisarbagh, les tranchées ont été remplies de l’eau du Gomti et on a édifié trois lignes de défense. Transformés en véritables citadelles, avec bastion à chaque angle, les palais, dont le plus grand abrite désormais le commandement des forces armées, sont défendus par cent vingt-sept canons.
[…]
   La Rajmata est sur tous les fronts. Montée sur l’éléphant royal, elle visite chaque chantier pour encourager les hommes et s’assurer que les rations distribuées sont suffisantes. Beaucoup n’ont en effet plus de quoi se nourrir, depuis que les champs ont été brûlés par les armées ennemies, les céréales sont rares et chères. Aussi a-t-elle décidé de nommer dans chaque quartier un responsable chargé de veiller à ce que personne ne meure de faim, au besoin en prenant aux riches pour donner aux pauvres.
   Elle a également convoqué les banquiers pour leur demander un prêt de deux millions de roupies, ce qu’ils ont refusé net. Mais en insistant et maniant tour à tour promesses et menaces, elle est parvenue à obtenir un premier versement. Ce n’est pas suffisant car il faut payer les troupes : aussi dévoués que soient les soldats, ils ne peuvent se battre le ventre vide ni laisser leur famille mourir de faim. Alors Hazrat Mahal décide de faire fondre ses bijoux et tous ses ornements d’or et d’argent. Et, malgré les cris indignés des bégums, elle les oblige de faire de même. Sur les sommes obtenues, elle mettra secrètement de côté un petit trésor de guerre afin de financer ses actions diplomatiques. […]
   Chaque jour, du matin au soir, Hazrat Mahal s’emploie à organiser et à stimuler les énergies, mais lorsqu’elle rentre, épuisée, elle se heurte à d’autres traces. Dans leur palais de Kaisarbagh, les bégums ont formé un front contre elle. La confiscation de leurs bijoux a été la goutte de trop. Depuis longtemps la jalousie et l’irritation montaient devant la puissance de la nouvelle Rajmata qui, après tou, n’était que la quatrième épouse, et qui est, d’origine très modeste ! […]
   Hazrat Mahal a beau tenter de se convaincre que ce sont là jalousie sans importance, qu’elle est au dessus de ces mesquines intrigues, elle ne peut s’empêcher de ressentir durement ces attaques. Heureusement qu’elle a Mumtaz ! Elle lui a fait aménager une chambre auprès de la sienne et ainsi elles passent de longs moments ensemble.
   Mais si Mumtaz peut la réconforter, elle ne peut guère la conseiller sur les affaires politiques. Les longues discussions avec Jai Lal lui manquent, elle aimerait tant l’avoir auprès d’elle comme naguère, lui qui sait toujours ce qu’il faut faire alors qu’elle, souvent, hésite et se pose mille questions. Sa force et son esprit de décision la fascinent ; il la rassure quand elle doute, et sa confiance et son admiration lui redonnent l’énergie d’avancer.
   Elle multiplie les occasions de le rencontrer : dans cette cour où on ne peut se fier à personne, la présence de Jai Lal, sa voix chaleureuse, son sourire lui sont devenus indispensables.
   Pourtant le rajah reste sur la défensive. Il voit bien que le jeune femme cherche à nouer les liens d‘autrefois, mais autrefois, pour tous deux, il n’y avait qu’amitié et admiration réciproque, tandis que maintenant… Il sait qu’il tient à elle comme il n’a jamais tenu à aucune autre femme. Mais elle ? Que ressent- elle pour lui ? Elle est si changeante… fait alterner sans raison apparente des moments de froideur et de charme… Il ne veut plus s’y laisser prendre. Ne l’a-t-il pas vue l’autre jour faire la coquette avec le prince Firouz ?
   Comment pourrait-il deviner que Firouz Shah est le dernier souci de la bégum ?
  
         Kenizé Mourad, Dans la ville d’or et d’argent ( p 363,364,365,366, 367, 368 )


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