samedi 18 juillet 2015

Dans la ville d’or et d’argent ( extrait 1 du chapitre 20 )



   
Le 20 juillet à 9 heures du matin, une énorme explosion fait sursauter le major Banks en train de prendre son thé. Du côté de la batterie ouest un nuage de poussière s’élève : une mine vient d’exploser.
   Aussitôt les clairons sonnent l’alarme. Menés par leurs officiers, les artilleurs se précipitent à leurs portes et l’infanterie se met en position  derrière les tranchées. De la ville avance vers eux une marée humaine au milieu de laquelle se détachent  les drapeaux d’Awadh et les fanions des rajahs. […]
   La bataille durera sept heures. Des deux côtés on s’affronte avec le même acharnement. Enfin vers 4 heures de l’après-midi, ordre est donné aux cipayes de se retirer. Ils laissent sur le terrain des des centaines de morts et de blessés qu’ils viendront chercher dans la nuit, avec l’assentiment tacite des Anglais qui craignent la contagion des corps pourrissant dans la fournaise de l’été.
   Les Britanniques ont, quant à eux, perdus une vingtaine d’hommes – Hormis les soldats indigènes dont les pertes ne sont pas décomptées. Mais ils ont perdu leur haut-commissaire, le major Banks, emporté par un boulet de canon. Tout le commandement est désormais entre les mains du colonel Inglis.
   Tard dans la soirée, encore tout couvert de poussière, le rajah Jai Lal est arrivé au palais de Chaulakhi où la régente Hazrat Mahal l’a fait mander. Il la trouve dans un état de grande agitation. A peine a-t-il le temps de la saluer qu’elle l’interpelle :
   « Que s’est-il passé, Rajah sahab ? Comment une armée de huit mille indiens a-t-elle pu être repoussée par quelques centaines de Britanniques ? Cet assaut avait pourtant été préparé depuis des semaines, nous y avons lancé nos meilleures troupes ! Pourquoi cette honteuse défaite ?
-          Ce n’est pas faute de courage, Houzourt, nos hommes se sont battus comme des lions. Ils ont tenus tête pendant des heures face à une puissance de feu bien supérieure à la nôtre. Pas un n’a tenté de s’enfuir. Le nombre de morts et de blessés atteste leur vaillance et leur dévouement. Plutôt que critiqués, ils méritent d’être félicités.
-          Mais alors pourquoi avons-nous perdus ? Insiste Hazrat Mahal, prise de court et un peu confuse.
-          A cause de l’infériorité de notre armement, nos fusils aussi bien que nos canons ont une trop courte portée de tir. […]
   Le rajah a demandé la permission de se retirer, la journée a été rude et il veut encore faire un tour des casernes pour rasséréner les soldats.
   Restée seule, Hazrat Mahal arpente de long en large ses appartements. Malgré l’heure tardive, elle sent qu’elle n’arrivera pas à trouver le sommeil, elle pense à tous ces jeunes soldats partis ce matin pleins d’ardeur… et ce soir morts… pour rien ?
   
   Non, Jai Lal a tort. Ces hommes ne meurent pas pour rien, ils meurent pour gagner leur liberté, leur dignité. En participant au combat, ils ne sont plus de pauvres hères écrasés par le quotidien, pour la première fois, ils trouvent un sens à leur existence misérable. Peu leur importe de perdre la vie, pour l’éternité ils seront des héros.
 Cette indifférence à la mort est la force mais aussi la faiblesse de notre armée, car les soldats négligent toute prudence. Contrairement aux Anglais, ils se battent moins pour gagner que pour se sublimer et accéder à la gloire.


                   Kenizé Mourad, Dans la ville d’or et d’argent (p 260, 262, 263, 264, 265) 

                                                                                                                                       ( A suivre... )

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