jeudi 25 juin 2015

Dans la ville d’or et d’argent ( extrait 1 du chapitre 18 )




   Le soleil couchant baigne de ses reflets pourprés le grand salon du zénana où les deux rajahs sont revenus s’acquérir du verdict. […]
   Enfin, derrière le rideau une voix autoritaire se fait entendre. C’est la bégum Shanaz qui en tant qu’aînée, a le privilège d’annoncer la décision.
   « Voici, Rajahs saheban *, le résultat de notre consultation : à l’humanité, nous avons choisi pour futur roi le prince Nausherwen Qadar, fils de la bégum Khas Mahal. »
   A la déception qu’il ressent, Jai Lal s’aperçoit a toujours espéré que l’élue serait la bégum Hazrat Mahal, cette femme qui l’a tant impressionné par son énergie et son intelligence. Mais les dés ont sont joués, il ne peut intervenir. En revanche, il veut des assurances :
   «  Nous vous remercions, Altesses. Maintenant, si vous le permettez, nous voudrions nous entretenir directement avec la future régente, déclare-t-il.
   -Elle est très émue, laissez lui un peu de temps, s’interpose la bégum Nashid, qui tente de réconforter Khas Mahal en larmes.
   - Pardonnez-nous, honorables bégums, mais nous n’avons plus le loisir de ces délicatesses. La guerre est à nos portes et pour combattre nous devons au plus vite rétablir l’ordre dans les rangs des cipayes. »
[…]
   La réponse lui sera vite donnée. De derrière le rideau s’élève une voix tremblante :
   «  Je suis prête, je ferai de mon mieux, je suivrai tous vos conseils, rajahs saheban. Mais il faut que vous m’assuriez, sur l’honneur, que la vie de mon fils ne sera pas mise en danger. »
   Devançant la réaction exaspérée de son ami, Mahmoudabad explique une nouvelle fois, patiemment :
   «  Vous devez comprendre, Housour, qu’en temps de guerre toutes les vies sont en danger, celle de votre fils comme la vôtre ou les nôtres. […]
   Un long silence, puis la  petite voix reprend, cette fois plus ferme :
   «  En ce cas, je dois refuser. Ma vie est sans importance mais je ne me reconnais pas le droit de faire courir un tel risque au prince. 
   -Moi je suis prête à accepter ! »
   La phrase a sonné, claire, au milieu d’un silence stupéfait.
   « Et mon fils le prince Birjis Qadar est prêt, lui aussi à servir son pays. »
   Autour d’Hazrat Mahal s’élèvent des murmures désapprobateurs : qu’est ce qu’elle raconte ? Comment un enfant pourrait-il comprendre ?
   « Il est jeune mais j’ai veillé à ce qu’il soit éduqué dans la conscience de ses devoirs envers son peuple, et non, comme d’autres princes, avec la seule idée des droits et privilèges attachés à sa naissance. »
   Passant outre les protestations indignées de ses compagnes, elle continue d’un ton vibrant :
   «  Comme vous, Rajahs saheban, je suis convaincue que la seule solution est de nous battre. Nous avons trop longtemps baissé la tête en espérant que notre bonne conduite convaincrait nos maîtres. Mais l’expérience  nous a prouvé que plaider et expliquer sont inutiles, ceux qui détiennent le pouvoir n’entendent que ce qu’il leur plait d’entendre. Aucune concession, aucune négociation ne nous rendra notre pays Les Britanniques invoquent la morale et jurent qu’ils n’ambitionnent que de rétablir la justice mise à mal par un incapable, nous savons bien qu’ils se moquent de la justice et ne veulent que s’approprier nos richesses. Ils resteront tant que le combat du peuple ne les oblige pas à partir.
   « Avec vos conseils, Rajahs saheban, ce combat, mon fils et moi-même sommes prêts à le mener. »

            Kenizé Mourad, Dans la ville d’or et d’argent (p 232,233,234,235 )

Saheban* : messieurs, pluriels de sahab


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