mercredi 20 novembre 2013

C'est avec du thé et des roses que naquit notre merveilleuse amitié


  Dans la ville, il y aurait toujours de la place pour un libraire et  une fleuriste. Mais sans le revenu des boutiques, comment pourrais-je joindre les deux bouts ? Je suis votre veuve, et je continue de louer les deux boutiques qui m’appartiennent, l’une à Alexandrine, l’autre à M.Zamaretti. Comme vous le faisiez, comme votre père l’avais fait avant vous, et son père de même. […]
   La boutique était baignée de lumière. Les ouvriers l’avaient débarrassée des tristes tentures brunes et des apprêts gris de Mme Collévillé. Ils avaient éliminé toute trace d’humidité et repeignaient les murs et les coins dans un blanc lumineux. Ciré de frais, le plancher brillait. Ils avaient abattu la cloison entre la boutique et la pièce de fond, doublant la superficie des lieux. Ces jeunes gens, tous charmants et des plus enjoués, m’accueillirent avec entrain. Je pouvais entendre la voix stridente  de Mlle Walcker, qui se trouvait dans le cellier, occupée à donner des ordres à un autre jeune homme. Lorsqu’elle m’aperçut, elle m’adressa un bref signe de tête. Je sus que j’étais de trop et, aussi humble qu’une servante, pris congé.
   Le lendemain, Germaine, le souffle court, me suggéra de descendre pour jeter un coup d’œil à la boutique. Elle semblait si excitée que je reposai précipitamment ma broderie et la suivais. Rose ! Rose, mon amour ; et un rose comme vous n’en auriez  jamais imaginé. Une exploitation de rose. Du rose sombre à l’extérieur, mais rien de trop audacieux ou frivole, rien qui eût pu conférer quelque indécence que ce fût à notre demeure. Une enseigne simple et élégante au-dessus de la porte : Fleurs. Commande pour toute occasion. Les agencements  en vitrine étaient adorables, aussi jolis qu’un tableau, bibelots et fleurs, une abondance de bon goût et de féminité, façon idéale d’attirer le regard d’une coquette ou d’un galant gentilhomme en quête d’une seyante boutonnière. Et à l’intérieur, des tapisseries roses, à la dernière mode ! C’était magnifique et si séduisant.
   La boutique débordait de fleurs, les plus jolies fleurs que j’aie jamais vues. Des roses divines aux tons incroyables, magenta, pourpre, or, ivoire ; de somptueuses pivoines aux têtes lourdes et penchées ; et les effluves, mon amour, ce parfum entêtant, languissant qui y flottait, pur, velouté, comme une caresse de soie.
   Je restai là, fascinée, les mains jointes, comme une petite fille. Une fois encore, Alexandrine me considéra, sans sourire, mais je devinai un léger pétillement  dans ce regard acéré.
-          Ainsi, ma proposition approuve le rose ? murmura-t-elle, remettant de l’ordre dans les bouquets de ses doigts rapides et habiles.
   Je marmonnai mon assentiment. Face à cette jeune demoiselle hautaine et cassante, je ne savais comment réagir. Au début, elle m’intimidait.
   Ce ne fut qu’une bonne semaine plus tard que Germaine m’apporta un carton d’invitation dans le salon. Rose, bien sûr. Et il émanait  un parfum des plus délicats. «  Mme Rose souhaiterait-elle passer prendre le thé ? A.W. Et voilà comment notre merveilleuse amitié naquit. Avec du thé et des roses.
                    
              Tatiana de ROSENAY : Rose

   

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