mardi 16 juillet 2013

Il était une fois l’amour (Chapitre V, extrait 1)



   En entrant dans la chambre, accompagnée de Liz, Barbara vit les yeux de Daphné s’ouvrir et se refermer presque aussitôt. Effrayée, elle se tourna vers l’infirmière. Mais Liz, lorsqu’elle eut pris le pouls de Daphné, rassura Barbara d’un sourire.
-          Elle est en train de se réveiller.
   Au même moment, Daphné rouvrit les yeux et enta de fixer Barbara. […]
   Durant les premières années qu’elle avait  travaillé pour elle, Daphné ne lui avait absolument pas parlé de son fils. C’était une romancière à succès, apparemment célibataire, très travailleuse, sans vie personnelle, ce qui n’était pas surprenant lorsqu’on savait qu’elle publiait deux romans par an, et y consacrait tout son temps. Mais, un soir de Noël, Barbara, qui avait travaillé tard, trouva Daphné en sanglots. Ce jour-là, elle lui parla de Jeff, d’Aimée et d’Andrew, l’enfant conçu la nuit de l’incendie, qui était né neuf mois plus tard, alors qu’elle ‘était seule, sans famille, sans mari, sans tous ses amis, qui lui rappelaient trop Jeff. Elle se souvient de la naissance d’Aimée : Jeff lui tenait la main et des larmes de joie avaient salué l’arrivée de l’enfant attendu. L’accouchement d’Andrew, en revanche, avait duré trente-huit heures. Le bébé avait le cordon ombilical autour du cou, et manquait à chaque instant de s’étouffer.
   On les avait sauvés tous deux de justesse. […]
   C’était un bel enfant, heureux de vivre et plein de santé. Il avait les yeux bleus de sa mère mais ressemblait toujours autant à son père. Sur tous les murs de la chambre d’Andrew, elle accrocha des photos de Jeff. Elle voulait qu’il sût quel homme était son père. Ce n’est que trois plus tard qu’Andrew se mit à l’inquiéter, malgré son caractère joyeux et sa bonne constitution. Un jour qu’il se trouvait dans son berceau, dans la cuisine, elle renversa par mégarde une pile d’assiettes. Il ne sursauta même pas. Lorsqu’elle tapait dans ses mains, il se contentait de sourire.
   Un sentiment de terreur envahit Daphné. Elle ne put se résoudre à appeler le médecin, mais quand elle alla le consulter, quelque temps après, il lui révéla ce qu’elle soupçonnait déjà. Ses craintes étaient fondées : Andrew était sourd de naissance. Il poussait d’étranges petits cris, mais il était encore trop tôt pour savoir s’il était muet. Cela pouvait être dû aussi bien aux conditions de l’accouchement qu’aux médicaments qu’elle avait pris après l’incendie : Elle était restée sous traitement à l’hôpital durant un mois, et personne ne la savait enceinte. Mais, qu’elle qu’en fût la raison, Andrew était sourd à jamais.
   Daphné lui voua alors un amour violent et passionné. Elle ne le quittait plus et se levait tous les jours à 5h30 pour être auprès de lui à son réveil et l’aider en toute chose. […] Elle ne voyait presque personne et ne sortait plus. Elle vouait à Andrew chaque instant de sa vie, effrayée de le laisser avec quelqu’un d’autre qui ne saurait comprendre, aussi bien qu’elle, les dangers qu’ils devaient affronter.  Elle prenait donc tout en charge et, chaque nuit, se couchait épuisée, vidée par les efforts qu’elle avait dû faire. […]
   Les spécialistes qu’elle avait consultés lui avaient suggéré de mettre Andrew dans une école spécialisée.
-          Une école ?
   Elle était furieuse de ce que venait de lui dire une fois de plus le spécialiste.
-          Jamais,  vous  m’entendez, jamais !
-          Ce que vous faites est bien pire…
   La voix du médecin était douce.
-          Ce ne sera qu’une étape, Daphné. Mais il faut voir la situation en face. Andrew a besoin d’une éducation à son cas. Et vous ne pouvez la lui donner.
-          Et bien j’apprendrai !
   Faute de s’en prendre à la surdité d’Andrew, à la fatalité, à la vie qui ne l’avait pas épargnée, elle se révoltait contre l’avis du médecin.
-          Oui, j’apprendrai, et je resterai à ses côtés, nuits et jours !
   C’est pourtant ce qu’elle avait fait jusque là, et sans résultat, puisque Andrew vivait hors du monde. […]
   Un jour qu’Andrew était assis dans le bac de sable, tout seul, elle le surprit à regarder les autres enfants en pleurant. Il se tourna vers sa mère comme pour lui demander
-          Mais qu’est-ce-que j’ai ?
   Elle s’était précipitée, l’avait pris dans ses bras et l’avait bercé, se sentant aussi seule et apeurée que lui. Elle comprit alors qu’elle n’avait pas su l’aider.
   Un mois plus tard, elle cessa de lutter. La mort dans l’âme, elle entreprit de visiter ces écoles qu’elle avait rejetées si fort, craignant à chaque instant qu’on ne lui arrachât son enfant. Cette idée lui était insupportable, mais elle savait aussi qu’elle finirait par détruire son fils. Elle trouva enfin une école qui lui plut assez pour accepter de se défaire de lui. Elle se trouvait dans une jolie petite ville du New Hampshire. Il y avait des arbres, une marre et une rivière où pêchaient les enfants.

                         Danielle STEEL : Il était une fois l’amour


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